Analyse du générique


Très vite et depuis longtemps, les génériques ont dépassé leurs simples fonctions d’indication de "Qui à fait quoi ?" pour devenir un espace privilégié, soit pour donner une petite oeuvre artistique à part entière (comme pour la série des "James Bond") ou bien, et c’est plus souvent le cas, un moyen :

- soit/et d’indiquer comme en filigrane le contenu du film qui va suivre (les exemples sont nombreux allant de "Jules et Jim" de Truffaut où l’on trouve tout le film présent d’une manière très elliptique ou "Live and Die in L.A." de Friedkin où sont étalés les ingrédients du film : sexe, ambivalence, et surtout argent !)
- soit/et de plonger déjà le spectateur dans l’ambiance que le film nous réserve (c’est le cas de "
Seven" avec sa musique oppressante, et ses images grattées sur pellicule).


Mais s’il est un genre de films où le générique est le plus important, c’est bien évidemment les séries télévisées. La musique doit être un déclencheur, tout comme les images qui doivent rapidement rappeler au spectateur de quoi il s’agit. Tout le monde a en mémoire les génériques de "Chapeau melon et bottes de cuir", "Magnum", ou bien le très beau générique de "Mac Guyver" et bien évidemment l’incontournable "Amicalement vôtre".
Ces génériques sont si importants à la télévision que c’est là et seulement là qu’il existe un "Oscar" du meilleur générique, même si cet oscar s’appelle "
Emmy Award".
"
The X-files" l’a obtenu.


Le générique d'X-Files
Le générique d'X-Files

AVERTISSEMENT

L’analyse "plan par plan" est une pratique toujours délicate.
Comme toute analyse artistique, celle-ci est influencée par une certaines dose de subjectivité, même si l’on peut dire certaines choses avec assurance (notamment pour tout ce qui est déduit du montage, du cadrage, etc., bref de la mise en scène). Le danger est d’aller trop loin, dans l’analyse, à force de vouloir faire signifier des choses à des détails. L’analyse sans fin est un risque...

Ce risque de sur interprétation suscite souvent une question dans la tête du lecteur : "Mais est-ce que le réalisateur a vraiment pensé à tout ça quand il a tourné son plan ?"...
La réponse est que ce n’est pas notre problème, puisque ce n’est pas là notre sujet. Notre axe de réflexion ne se situe pas au niveau du rapport créateur/oeuvre d’art, c’est-à-dire que nous ne nous intéressons pas à l’analyse purement esthétique, voire psychanalytique de l’auteur, visant à savoir le degré de conscience qu’il a en décidant de faire un travelling quand il aurait pu faire un plan fixe !
Non ! Notre axe est celui de la perception, c’est-à-dire du rapport oeuvre/spectateur. Quels effets fournit ce plan ? A quoi cela peut-il faire penser ? Comment peut-on lire et comprendre ce plan ? Etc.

ANALYSE GLOBALE.

Une bonne classification, c’est-à-dire une bonne vision globale, est à la fois un début d’analyse, et la condition sine qua non pour pouvoir mener à bout l’analyse en question.
Dans ce générique, nous avons 27 plans que nous pouvons réduire en 13 "matrices" (nommées I. II. etc.) à condition de réduire d’une manière formelle à une unité les deux séries de huit plans "saccadés" (la soucoupe, et
Mulder & Scully derrière la porte). Ces 13 matrices peuvent être à leur tour regroupées en 5 blocs A, B, C, D, E. Découpé ainsi, c’est tout le fonctionnement de la série que nous offre en filigrane ce générique, puisque chaque bloc répond à une des cinq questions nécessaires pour "savoir de quoi on parle" : Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? Pourquoi ?


A - L’ACCROCHE
(qu’est-ce que le fonctionnement de cette série ?)

Le premier bloc constitué d’un seul plan (I) sert d’accroche en suggérant au spectateur des questions : Qu’est-ce que ce X inconnu ? Est-ce une formule mathématique ? Un passage interdit ? Un film de cul ? Que sont aussi ces X-Files ? Bref : c’est quoi ?...


B - LE PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT
(Comment s’exerce ce fonctionnement ?)

Les deux plans (II-III) de ce deuxième bloc - nous le verrons - décrivent entièrement le principe de fonctionnement de la série, c’est-à-dire qu’ils présentent les trois "actants" nécessaires pour construire un récit structuré et efficace :

Le sujet (au sens grammatical du terme) : une personne qui observe les phénomènes inexpliqués. Par extension ce sera Mulder & Scully, c’est-à-dire les personnages.
L’objet : une soucoupe volante étrange. Par extension, ce sera tout le monde du paranormal.
L’opposant : une instance qui est au-dessus, et qui note tout. Ce sera par extension Smoking Man, et tout le petit monde qui se cache derrière lui.



C - LE PARANORMAL.
(Où s’exerce ce fonctionnement ? c’est à dire "l’objet")

Les trois plans (IV-V-VI) qui forment ce troisième bloc traitent des objets d’enquêtes de nos deux agents, c’est-à-dire tout le domaine du paranormal, allant de l’espace et de l’infiniment grand, au génétisme et à l’infiniment petit, en passant par l’homme et ses propres expériences terrifiantes....

D - LES PERSONNAGES
(Qui exerce ce fonctionnement ? c’est à dire "le sujet")

Les quatre plans suivants (VII-VIII-IX-X) constituent le quatrième bloc. On a le droit ici à la présentation de Mulder & Scully avec une caractérisation sommaire de Mulder comme étant tributaire de son obsession par rapport à sa soeur, et Scully comme étant une parfaite aide pour Mulder, le couvrant, lui apportant ses connaissances "éclairantes" que lui confère la science...


E - LE GRAND SECRET
(Pourquoi s’exerce ce fonctionnement ?)

Ces trois plans (XI-XII-XIII) traitent de la finalité de leurs enquêtes : Comment réagiront-ils face à leurs découvertes ? Atteindront-ils la Vérité ? Qui détient la Vérité ?...

ANALYSE EN DETAILS.

A. L’ACCROCHE.

I - "X-FILES".


Description.

L’image est nettement divisée en trois bandes obliques et plus ou moins parallèles. Celles de droite et de gauche sont dans l’obscurité, celle du milieu, contenant le X est dans la lumière. Durant le plan, un faisceau lumineux balaye l’image de droite à gauche.

Analyse.

Il y a plusieurs choses très intéressantes dans ce plan :

- Tout d’abord, l’effet énigmatique de ce grand "X".
Commencer un générique ou un film par un tel logogramme créé toujours un effet percutant et surprenant. L’énigme, dit-on, est séductrice et est souvent utilisée comme accroche pour susciter rapidement et efficacement l’intérêt du spectateur. La suite, elle, sert alors à expliquer cette énigme. C’est effectivement ce à quoi sert ce générique.
Le premier film à utiliser avec brio le logogramme comme accroche, c’est "
Citizen Kane". Le "X" joue ici le rôle du "K" dans "Kane". Il suscite la curiosité avant d’être relayé par une phrase énigmatique "Rosebud"... Tout comme ici nous avons l’énigmatique "la vérité est ailleurs".
Nous aurons de nombreuse fois à revenir à "
Kane" tant ce générique a des points communs avec le chef d’oeuvre d’Orson Welles. On peut même affirmer avec une quasi certitude que les emprunt à "Kane" sont conscients. Il suffit de regarder le générique de "Kane" et le comparer à celui du "Retour de Tooms" pour en être totalement convaincu.

Cependant, "Kane" lui-même n’est pas à l’origine de cette technique. Dans "Oedipe Roi" de Sophocle, nous avions déjà la même chose : une énigme formulée "Qu’est-ce qui a quatre pattes le matin, deux l’après-midi et trois le soir ?", qui suivait un logogramme : le "Y" (celui de la route sur laquelle a eu lieu le meurtre de l’ancien roi)...
- Deuxième point : le thème de la lumière luttant contre l’ombre.
Il est courant, voir universel de relier le positif, la vérité, voire les héros à la lumière tandis que le négatif, le secret et les méchants sont, eux, de l’apanage de l’obscurité. Dès lors, tel l’archange de lumière
St Michel, le personnage doit lutter contre les forces démoniaques de noirceur représentés par le Dragon, pour faire triompher la lumière.
"
The X-Files" est entièrement dans cette problématique, avec le personnage de Mulder, le chevalier des causes perdues, l’idéaliste luttant contre les méchants tapis dans le noir. C’est tellement vrai qu’on l’accuse d’être paranoïaque ! C’est dire combien les méchants sont bien tapis. Dans ce plan, mais aussi et surtout dans tout le générique nous avons sans cesse des images construites sous le principe de l’opposition blanc / noir, lumière / obscurité. Ainsi, ce "X" représentant bien évidemment le service des dossiers non classés est complètement pris en sandwich par deux bandes noires qui sembleraient presque le menacer.

Dans le même temps, nous avons droit à un petit coup de faisceau lumineux qui rappelle bien évidemment cet élément si symboliquement) caractéristique de nos deux agents : la lampe torche !.. Et pour finir dans la même optique, l’on pourrait s’attarder un peu sur cette calligraphie si particulière du "X", qui semble avoir été tamponné il y a fort longtemps. Si longtemps qu’il commence à s’effacer... Pas fameux les services non classés, drôlement en danger...



B. LE PRINCIPE DE FONCTIONNEMENT

II - SOUCOUPE.



Description.

Cette "unité" se divise en 8 plans. Aux vues des caractéristiques de ce plan on peut l’assimiler à une seule unité. Tout démarre (1) d’une photographie prise lors d’une fin de coucher de soleil.
Une personne est présente, en amorce, à gauche, de dos, sous exposée, désignant en l’air et du doigt une soucoupe volante.
A droite en bas, on peut apercevoir, écrit sur la photo, "
F.B.I. Photo Interpretation".
Les 5 premiers plans sont 5 photos prises en rafale (la soucoupe n’est pas dans la même position à chaque fois, ce qui donne cette impression de mouvement saccadé), avec un même cadrage, passées ensuite au banc titre pour être resserrées (d’où l’impression d’un grain d’image de plus en plus grossier).
Les plans 6, 7, 8 viennent de la photo 6 (même position de la soucoupe), sauf qu’elle sont agrandies encore plus au banc titre.
Pendant tous ces plans, un léger travelling avant resserre progressivement.

Analyse.

- Premier idée : l’homme n’est pas à la hauteur des E.T.

Cette photo, visible en entier dans le plan 1, est tout à fait remarquable quant à sa composition.
Elle oppose de manière très forte l’homme présent et la soucoupe. Celle-ci est bien cadrée, grosso modo au centre de l’image, bien lumineuse, bien grosse, tandis que l’homme est décadré, de dos, sous-exposé, debout sur une si petite bande de terre qu’on a l’impression qu’il est en déséquilibre, avec un geste tel que le regard du spectateur passe tout de suite à la soucoupe. De plus : qu’est-ce qu’il a l’air seul ! Ce décalage est tout un premier thème : face au mystère des Ovnis, l’homme est écrasé. Il ne fait pas le poids. C’est si vrai que même
Mulder, qui n’a jamais peur de rien, qui est courageux comme pas deux, qui rêve de voir des ovnis et de rencontrer des petits hommes verts, n’a jamais eu le cran ni la force, quand la chance lui était offerte, de faire le pas décisif. Que ce soit dans "Enlèvement" quand il était adolescent, ou dans "Petits Hommes Verts", ou bien dans "Anasazi", il est toujours trop petit pour les affronter !


- Deuxième idée : l’abnégation pour la Vérité.

La suite des 8 plans enfonce drôlement le clou. De cette image parfaitement cadrée, on passe à un plan plus serré (2), où l’homme n’est plus décadré, mais amputé : il ne lui reste plus qu’un bras. Cette évolution finit dans le plan d’après (3), où l’homme n’est carrément plus là.
Il y a là une très belle idée qu’on trouvait notamment dans "
Citizen Kane" à deux reprises. Au début d’abord, où l’on voyait des journalistes professionnels et sérieux qui discutaient dans le noir, devant un écran illuminé. Ils parlaient de la vérité, pas celle à quatre sous, mais la vraie. L’idée de cet éclairage, c’est que les journalistes s’effacent devant la vérité qu’ils vont chercher... Plus tard, dans la séquence dite de la "Profession de foi", Kane lit une déclaration d’intention. En plein milieu, il s’arrête pour éteindre la lumière qui l’éclairait. Il n’y a plus désormais que la lumière qui éclaire son papier. Il s’est effacé à son tour face à un idéal.
Ici, c’est la même chose : l’homme (
Mulder par extrapolation) s’efface pour sa cause, s’efface au profit de la soucoupe, au profit de la vérité, qui s’agrandit, qui se rapproche à mesure de cet effacement...
De plus, celui-ci s’effectue en deux temps :
- premier temps, l’inscription F.B.I. (en bas à droite) disparaît ;
- deuxième temps, c’est physiquement qu’il disparaît.

Ce qui compte avant tout, c’est l’OVNI... C’est là tout le programme de Mulder. La vérité est ailleurs : elle est dans cette soucoupe lumineuse, qui attire les rêves, les regards, et même la caméra.
La suite des plans suggère bien évidemment cette progression, avec tout de même le côté saccadé qui rend l’image difficile à lire. Cette technique consistant à rendre pénible une lecture d’image a été perfectionné dans "
Alien" où chaque fois que la Bête apparaît, on avait droit à des images syncopées qui permettaient :

- de montrer sans qu’on puisse voir
- et surtout d’intéresser le spectateur au point de l’obliger à faire l’effort de se concentrer pour percevoir.

Cette technique est malheureusement vérifiable lors des infos télévisées : il suffit que le cadre soit tremblant, que ce soit filmé de loin, bref que ça fasse amateur pour qu’on soit interpellé, et surtout qu’on y croit encore plus.
Techniquement aussi, c’est parce que cette succession de plans est tout de même violente et rude que l’on a droit à un travelling, qui permet d’adoucir le montage, sans pour autant enlever cette saccade... Comme quoi, il faut savoir là aussi, jusqu’où aller trop loin.

- Troisième idée : à trop regarder on ne voit plus !

Les plans 6/7/8 sont tout à fait remarquable. Nous n’avons plus ce mouvement de l’OVNI,mais un gel de l’image avec tout de même la progression qui continue.
L’impression est tout d’abord que "tout s’arrête". Ce qui n’est pas forcément illogique vu la situation ! J’imagine que c’est un peu ça que doit ressentir un spectateur face à un vrai ovni ! Mais surtout cela permet une autre idée magnifique : plus on avance près de la soucoupe pour la cerner, pour la voir, plus elle devient floue, plus les grains de l’image grossissent au point que finalement (plan 8) la soucoupe ne soit plus qu’une purée blanchâtre indiscernable.
C’est
Antonioni qui a le premier - et d’une manière fort brillante - mit en avant cette idée. C’est "Blow Up", dans lequel le personnage principal, un grand photographe réussit sans s’en rendre compte à prendre en photo un mort ! Il fait des agrandissements, des retirages pour voir de près le mort. Plus il croit s’approcher de cette mort, de ce secret, plus il se rend compte qu’ils lui fondent dans les mains. Il n’a plus qu’une tache blanchâtre... La vérité est ailleurs.
L’idée est évidemment éclatante quand on connaît la série : plus on s’approche de la vérité, moins on la voit clairement, plus cela devient compliqué à cerner. Au début de la série, on devine que les extraterrestres existent... Au bout de trois ans, on ne peut plus sortir une telle phrase simpliste. Il faudrait pour être juste parler du complot, des hybrides, des fausses mises en scène du gouvernement, etc., etc.



III. CARTE DU CIEL



Description :

Avec un fondu enchaîné, on passe à une image d’une carte électronique du ciel où tout est obscur si ce n’est les traces des étoiles et des constellations.
Un bras sous-exposé, en amorce gauche de l’image pratique des relevés. Elle finit par quitter le cadre par le bas gauche de l’écran, déclenchant le début du fondu enchaîné suivant.


Analyse :

Autant dans le plan précédent, la masse humaine donnait une sensation positive (parce que justement la soucoupe était plutôt agressive, et lui, témoin impuissant), autant ici les valeurs changent. En deux mots : autant l’ombre d’avant aurait pu être assimilé à un Mulder, autant cette ombre serait plutôt Smoking Man, dans la dualité manichéenne du rapport des deux personnages !
D’abord parce que cette main n’est pas du tout identifiée, que le geste est plutôt agressif mais surtout parce que cela se passe dans le noir. On retrouve évidemment l’idée d’une lumière (les constellations) face à l’obscurité de certains agissements.
La succession du plan précédent à celui-ci expose bel et bien le principe de la série :

Un homme, avec au dessus une soucoupe, avec au-dessus une main qui note ! L’homme est déstabilisé par la soucoupe, mais cette soucoupe est elle-même déstabilisée par autre chose...
Non pas que cette main soit celle d’un quelconque
Dieu omnipotent, supérieur à l’espace et aux Ovnis, mais plutôt effectivement celle de quelqu’un (ou d’un organisme) qui note tout, qui est au courant de tous les agissements des E.T.
En un mot : l’homme (
Mulder) est dépassé par les événements, mais il existe quelqu’un (homme de l’ombre) qui lui, ne l’est pas, et qui est même au-dessus de la soucoupe.

C. LE PARANORMAL

IV. LA BOULE ELECTROMAGNETIQUE

Description :

Par fondu enchaîné donc, on voit apparaître une boule noire qui émet des brindilles de lumière. Il y a un petit effet optique puisque le côté droit et le côté ne tournent pas dans le même sens.


V. LE CRI



Description :

En fondu enchaîné encore, de la boule qui se distord, c’est à un visage distordu que l’on passe. Le visage semble crier et souffrir. On retrouve une tripartition de l’image avec à droite et à gauche une bande noire oblique, courbe et au milieu le visage distordu.


VI. LES OEUFS



Description :

Toujours en fondu enchaîné, on arrive à un plan de deux oeufs qui s’ouvrent pour se vider de leur contenu. L’un est à droite, l’autre à gauche. Il s’agit en fait d’un seul oeuf dont l’autre est la symétrie (comme reflété par un miroir).
Un texte apparaît de devant l’écran pour aller se perdre dans la perspective que crée les oeufs :"Paranormal Activities"

Analyse :

Comme nous le dit si bien la dernière indication du dernier plan de cette série, il s’agit là des "Activités Paranormales"...
Il n’y a pour ces plans rien de spécial en soi à dire. Certes, le plan du visage qui crie rappelle le premier plan, mais il n’y a rien qui soit là porteur de sens (à moins que je ne l’ai pas vu !)
L’intérêt de ces plans n’est visible que si on les prend ensemble:

- Cette boule dardant des traînées de lumière fait référence à une étoile, aussi bien par sa forme que par sa fonction. D’une manière générique, c’est l’Espace qui est ici suggérée.
- Quant au visage littéralement tordu de douleur (qui rappelle "Espace") c’est bel et bien la souffrance humaine qui est ici si fortement évoqué, faisant même référence peut-être au tableau justement du cri de Magritte.
- Le troisième plan, les oeufs qui s’éventrent en symétrie dans un milieu opaque gluant, c’est le monde cellulaire par extension.

L’espace - l’humain - le cellulaire.

On passe de l’infiniment grand cher à Pascal, jusqu’à l’infiniment petit, avec au beau milieu l’homme. Cette conjugaison des trois termes peut même se décliner dans la version cette fois clairement paranormale :


Les extra-terrestres - La possession - La génétique.


C’est là évidemment tout l’étendu même du champs de recherche de Mulder et Scully :

- Pour les E.T. : "Nous ne sommes pas seuls", "Enlèvement", "Espace", "Ange Déchu", "Masculin Féminin", "E.B.E.", etc...
- Pour l’homme : "L’ombre de la mort", "L’incendiaire", "Le message", "Lazare", "Le Fétichiste", etc....
- Pour la génétique : "Tooms", "Eve", "Message d’outre-tombe", "La colonie", "Anasazi", etc....

On peut classer tous les épisodes dans ces trois tiroirs-là...

D. LES PERSONNAGES

VII - agent MULDER


Description :


Toujours en fondu, on arrive à un plan d’un bout de table où se trouvent plusieurs objets. Le principal est la carte du F.B.I., où l’on voit et la photo de Mulder et son nom.
Il y a deux autres objets. En bas à gauche, son insigne. Et en bas à droite, un cendrier.
Durant ce plan, un travelling s’opère pour aller resserrer sur la photo pendant qu'apparaît comme générique "starring David Duchovny".

Analyse :

Cette présentation, sans être très originale est pourtant très efficace, avec une belle et simple idée, celle de présenter le personnage via sa (photo de) carte de F.B.I., montrant ainsi que Mulder est un agent du F.B.I., avant tout. C’est son travail qui le définit avant sa psychologie, son origine, etc.... Ce procédé est totalement américain et fait cruellement défaut en France : montrer le personnage en action, dans sa fonction avant d’aborder sa psychologie, en sachant qu’on la devine toujours dans la manière de faire ce travail (prudent, fonceur, etc.) Les français font l’inverse : ils partent du psychologique, pour aboutir, quand ils y arrivent, à l’action... Toute la différence entre cinéma américain et français est là...
Comme détail amusant de ce plan, on peut noter cette présence étrange d’un objet qui n’est pas présent dans le plan en miroir de la présentation de Scully, je parle bien sur de ce cendrier décentré, comme en retrait... Comme quoi dès ce générique, Smoking Man n’est pas loin, juste à portée de cigarette...


VIII. LE FANTOME

Description :

D’un fondu enchaîné encore, on passe du visage de Mulder à un fantôme qui avance vers la caméra, du fond d’un couloir pour s’approcher et sortir du cadre par la gauche. Le plan est en noir et blanc, en contre plongé, comme filmé par une caméra de surveillance.
En mouvement inverse (s’éloignant vers le fond de l’image), une inscription : "Government Denies Knowledge"

Analyse :

Le plan qui suit la présentation du personnage vise dans ce générique à caractériser le personnage présenté. Cette succession sera la même pour le cas de Scully.
Ici deux caractérisation de Mulder sont visibles :

- La première caractérisation nous est donnée avec le texte écrit pendant ce plan "Governement Denies Knowledge" (le gouvernement affirme ne rien savoir), qui est bien évidemment tout ce contre quoi il bute, sans cesse et toujours, tant pour lui il est évident que le gouvernement sait...
- La deuxième caractérisation est quelque chose qui littéralement (c’est-à-dire visuellement) va à l’encontre de cette phrase qui ne cesse de devenir d’ailleurs de plus en plus petite à l’image.

Il s’agit de ce fantôme qui s’avance, qui grandit quand la phrase rétrécit. L’analyse est si simple qu’elle peut paraître surprenante : il y a un fantôme derrière Mulder... Dit ainsi, cela peut paraître tiré par les cheveux, mais à regarder au ralenti le passage du plan de Mulder à celui-ci, on aperçoit très bien que le fondu enchaîné fait disparaître le visage de Mulder au profit de la tête de ce fantôme.
Ce fantôme est le moteur de toute son action, ce qui va faire taire cette formule passe-partout du gouvernement, et ce fantôme a même un nom : Samantha Mulder...


IX. agent SCULLY

Description :

On arrive à ce plan de nouveau en fondu enchaîné. C’est le même principe que pour le plan VII (travelling avant resserrant sur la photo pendant que le générique indique "Gillian Anderson").
Petite variante quant à ce qui est posée sur le bout de table : l’absence de cendrier en amorce.
Le plan finit par un rapide fondu au noir.

Analyse :

Pour ce plan de Scully, il n’y a rien à dit de plus que ce qui a dit pour Mulder, si ce n’est effectivement l’absence de cendrier / smoking man...

X. L’ENTREE EN FORCE



Description :

Il s’agit de la deuxième série de plans "en rafale". Il y en a de nouveau huit mais cette fois en noir et blanc. Dans un mouvement saccadé on aperçoit successivement une porte qui s’ouvre, un faisceau de lampe qui éclaire, Mulder qui entre, Scully derrière. Les deux se tournent vers la droite cadre avec un air de stupeur face à ce qu’ils doivent voir. Le dernier mini-plan est un plan serré, de profil droite de Mulder.
En même temps que cette saccade, il y a un lent travelling avant. Le plan finit par un fondu au blanc.

Analyse :

La caractérisation de Scully est moins particulière, sans doute parce qu’à la conception de ce générique, le personnage lui-même était encore flou. Quoi qu’il en soit, on peut tirer un certain nombre d’informations de ce plan qui est en fait tirer de "Compressions"...:

- Scully est là non pas d’une manière indépendante mais pour accompagner Mulder. Elle en est son faire-valoir. L’accompagner et le couvrir.
- De plus, autant l’on voit dans ces images l’arme de Mulder, c’est le faisceau lumineux de la lampe de Scully qui est visible. Mulder est celui qui fonce, qui se bat [normal ! c’est un mec !!], tandis que Scully est celle qui fait la lumière scientifique sur les choses [Normal ! C’est un médecin]...

Et ce couple fonctionne pour une seule chose : voir ailleurs (hors champ) des choses et des vérités bien inquiétantes. Quelles sont-elles ? Quelles sont leurs conséquences sur nos deux agents ? C’est ce à quoi répond la série suivante :


E. LE GRAND SECRET

XI. LA CHUTE



Description :

Du blanc de la fin du dernier plan, on passe à un corps d’un homme de dos, blanc qui semble venir de derrière la caméra et tombe au centre de l’image, les bras écartés.
Devant lui, venant vers la caméra : une radiographie en bleu d’une main droite qui révèle - par une couleur rouge - une anomalie à un os du doigt.

Analyse :

Le passage du regard effrayé de Scully et Mulder à cette chute n’ait pas sans suggérer ce qui attend nos deux agents après avoir vu tout ce qu’ils ont vu : la chute due au vertige créée par la découverte de la vérité (cette découpe qui tombe n’est d’ailleurs pas sans rappeler la représentation de James Stewart, souffrant de Vertige et rêvant d’une chute sans fin dans "Sueurs Froides" d’Hitchcock) ainsi que l’effondrement des convictions et des assurances.
Pour ce qui est de la main radiographiée, outre le clin d’oeil aux "Envahisseurs" qui souffraient eux aussi d’un petit problème de rigidité de doigt, elle est là essentiellement par souci esthétique. Montrer uniquement cette chute l’aurait dramatisée à outrance et constituée une image un peu vide en fin de parcours...


XII. L’OEIL



Description :

Cut. Gros plan d’un oeil qui s’ouvre rapidement. Une tache lumineuse blanche est présente dans l’oeil, bien visible.
Le générique indique, en bas de l’écran : "Created by Chris Carter".

Analyse :

Cet oeil, ou plutôt ce clin d’oeil est un plan très important. Petit truc d’analyste plan par plan, d’abord : quand on assiste, comme c’est le cas ici, à une série de plans reliés par un montage "souple" (fondus), il faut traquer le premier cut, la première coupe franche. On peut être sur que le plan alors sera très important. Et cela pour une raison bien simple : si le réalisateur passe soudainement de fondus à un cut, c’est qu’il veut créer un effet de choc sur le spectateur (du moins s’il réfléchit à ce qu’il fait!!).
Deux exemples de générique reprenant cette idée : "Citizen Kane" (encore!) et "Duel".
Pour le film de Spielberg, on assiste à une série de plans pris en subjectif de la voiture, reliés en fondus enchaînés, où la voiture avale la route tandis que les fondus effacent la circulation gênante. Quoi de plus magistrale que cette présentation de l’impression de toute puissance du conducteur : avaler la route, et "zapper" les voitures qui gênent. Mais attention ! Le cut arrive. Très violent. On voit alors la voiture rouge, toute petite dans le cadre, filmée à travers des barrières (donnant l’impression donc d’être emprisonnée), avec une perspective de route dont on ignore le point de fuite. Dès ce plan, on sait que ça va mal finir, qu’elle ne fera pas le poids. Assurément, on la croyait plus grosse que ça !!!
Pour "Kane", la série de fondus sert à effacer cette fois des grilles, et à s’approcher tout en douceur du calme et paisible palais Xanadu. Et puis soudain le cut. Terriblement fort puisqu’il est succédé par un très très gros plan d’une bouche énooooorme pour l’époque (1941) et le grand écran, bouche qui prononce la réplique la plus connue de ce film "Rosebud !".
L’effet de ce plan est donc démultiplié pour trois raisons :

- Premier cut.
- Très très gros plan.
- Mais aussi par la paupière qui s’ouvre et qui fait un volet visuel très rapide et si peu discernable qu’il en est d’autant plus violent. (J’ai appelé cela clin d’oeil, mais il est clair que ce n’est pas le cas. L’oeil bat de la paupière uniquement pour cet effet de violence que cela créé en tout début de plan, et en cadrage très très serré).

Une telle débauche de moyen pour exagérer l’effet du cut a forcément une explication ! Mais laquelle ?

Il y a deux choses à tirer de ce plan :

- La première chose fait de nouveau appel à la Symbolique, qu’elle soit judéo-chrétienne avec l’oeil de Dieu, que ce soit hindou avec le troisième oeil, où bien même psychanalytique avec cette comparaison que fait Freud en décrivant le Surmoi (l’instance critique de l’individu) comme étant un Oeil ! L’oeil est symbole divin, de toute puissance, mais aussi et surtout (du moins ici) symbole de la Vérité (l’oeil - Dieu = voit tout, donc il est la Vérité).
Or cet oeil-Vérité est introduit non pas en fondu enchaîné mais par un cut violent qui décrit bien une séparation irrémédiable entre ce plan et ce qu’il y a avait avant, c’est-à-dire tout ce qui est l’enquête de nos deux agents. De nouveau la lecture interprétative est tellement simple qu’elle parait presque trop facile : il y a un fossé entre nos deux agents et l’(oeil)-vérité, un fossé infranchissable. Bref nous avons eu la représentation visuelle (par cette série de fondus stoppé net par un cut) de la phrase "La Vérité est ailleurs".
Imaginons un autre montage : Plan de la chute. Fondu enchaîné un oeil apparaît et grossit pour doucement, lentement envahir tout l’écran et s’ouvrir, comme si la caméra (et nous avec) étions entrés dans l’oeil... Là, du coup, aurait été suggéré que le film qui allait suivre nous aurait conduit au fond de la Vérité, que cette Vérité est tout du moins atteignable... Ici, c’est totalement l’inverse. Jamais ils n’atteindront la vérité, parce que cette vérité est une chasse gardée. Cette vérité, une personne l’a et compte bien se la garder ! Qui ? La réponse suit, écrite et signée :
- Deuxième chose. Ce plan est aussi l’occasion pour faire apparaître la ligne de générique "Created by Chris Carter". Beaucoup de réalisateurs (si ce n’est tous) s’amusent au moment du générique de trouver une petite place amusante pour y écrire son nom. Que ce soit Spielberg qui joue avec son nom en l’inscrivant au dessus d’une montagne ("Duel". "Jaws") et essayant tant qu’il peut d’écrire celui de son ami Lucas sur les fesses d’Harrison Ford ("Aventuriers de l’arche perdue"). Kasdan, quant à lui, dans "Les Copains d’abord" met le sien sur les poignets lacérés du suicidé... Les exemples peuvent se multiplier.
Ici Carter se met évidemment avec le plan de l’oeil. C’est indiquer aussi qu’en fin de compte le Dieu de la série, c’est bel et bien lui. C’est Carter qui sait tout, qui manipule tout... On parle du caractère divin de l’auteur, ici, on y est en plein dedans, avec ironie bien sur...

Le plan suivant va dans le même sens...

XIII. LE TEMPS QUI PASSE



Description :

Cette indication "Created by Chris Carter" reste sur le plan suivant qui arrive en fondu enchaîné, et qui représente un paysage avec une colline sur la droite, en contre-jour, avec un ciel orageux qui défile à grande vitesse vers la gauche de l’écran.
Un éclair fait disparaître l’indication "Crée par Chris Carter".
Une autre arrive, au dessus de l’horizon celle-là : "La vérité est ailleurs".

Analyse

Ce plan est assez difficile à analyser.

- D’une manière un peu technique, quant au montage, on constate l’utilisation de l’intitulé "Created by Chris Carter" pour invisibiliser au maximum le passage du plan précédent à celui-ci, à rendre ce passage doux : on regarde le nom, donc on ne voit pas la coupe.
- Quant à l’éclair de lumière qui efface le nom de Chris Carter, elle reprend encore la métaphore de la lumière et de l’obscurité. Il est vrai qu’à part les soucoupes volantes, il n’y a que l’éclair pour bien illuminer la nuit. Or pour qu’éclair il y a, il vaut mieux un bon paratonnerre... Et qui joue le paratonnerre ? Chris Carter : c’est lui qui est la cause du déclenchement de l’éclair de vérité...
Ce nom d’ailleurs disparaît, s’efface humblement (sic!) devant cette vérité et cette révélation que la Vérité est ailleurs. On retrouve là l’idée précédente. C’est lui qui finalement détient la vérité. Pour combien de temps ?
- L’accéléré du plan ne suggère rien qui vaille ! S’il sert à quelque chose d’autre que l’esthétisme, c’est sans doute pour suggérer qu’il faudra sacrément attendre cette "Vérité qui est ailleurs"... En le prenant bien, on pourrait dire "Tant mieux, c’est qu’il y en aura encore plein d’épisodes".
- Bien évidemment aussi, ce plan rappelle le plan n°II. C’est une manière convenue de boucler un peu la boucle : l’homme est parti, les ovnis aussi : il ne reste qu’en fin de compte que la nature. Et puis chacun sait que l’abstraction même de l’homme et de son désir par rapport à la plénitude et l’éternité de la nature est le début de la philosophie du moins de la sagesse (Ça ressemble presque à un poème Navajo !!)...

EN GUISE DE CONCLUSION...

Voilà donc un bon petit générique de 27 plans, 13 matrices, 5 blocs, 1 cut, 3 phrases clés : "Paranormal Activities", "Government Denies Knowledge", "The Truth is out there". Et tout ça se passe en 44 secondes. Quarante quatre secondes durant lesquelles on peut en filigrane lire le passé de Mulder, et le rôle de Scully, suggérer le complot qui "voit tout", l’existence de Smoking man, expliquer en quoi consiste le champs des opérations de nos deux agents, etc., etc.
Bref : Bravo...